Ostensiblement, les autorités ne voulaient pas que la manifestation des « anti-OTAN » se tienne à Strasbourg.
Ils auront pourtant été près de 30 000 à défiler, pacifiquement. Mais, des négociations au déroulement même de la journée, tout a été mis en oeuvre pour nier, et tenter de discréditer un
mouvement populaire, pacifique et pacifiste.
Décourager les manifestants
Jamais, sans doute, parcours de manifestation n’aura été aussi politique. D’un côté, les autorités, qui, des dires
mêmes de Michèle Alliot-Marie, la ministre de l’Intérieur, s’attendaient à 60 000 participants, avaient relégué les manifestants en périphérie de la ville, et proposaient un parcours à travers
la zone industrielle (donc visible ni par les dirigeants, ni par les populations). De l’autre, les organisateurs, français et allemands, souhaitaient que les deux cortèges se rejoignent sur le
pont de l’Europe. Du coup, le vendredi soir, le parcours officiel n’était pas encore connu. Et le samedi matin, les participants ont dû marcher pendant des kilomètres jusqu’au point de
ralliement du Jardin des deux rives. Ils sont plusieurs milliers à avoir surmonté l’interruption des transports en commun, l’instauration des barrages routiers. À 13 heures, ils apprennent que
les autorités ont fermé le pont de l’Europe. Les manifestants d’Allemagne ne peuvent les rejoindre.
Une ambiance festive et détendue
Dès 13 heures, un regroupement festif et politique, les manifestants français. Ils sont plusieurs milliers à écouter
des groupes jouer sur scène, et différents intervenants qui prennent la parole : Arielle Denis, coprésidente du Mouvement de la paix, Francis Wurtz, député européen, Olivier Besancenot,
porte-parole du NPA, Rainer Schmidt… tous dénoncent le maintien de l’OTAN. Marie-George Buffet (PCF), Pierre Laurent (PCF), Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) et Patrick Le Hyaric (directeur
de l’Humanité) sont présents. Même si un hélicoptère survole la foule à basse altitude et gêne les prises de parole, l’ambiance est détendue.
Casser la manifestation
Alors que les autorités avaient promis de garder ouvert le pont de l’Europe qui enjambe le Rhin entre la France et
l’Allemagne, les policiers allemands empêchent les manifestants d’outre-Rhin de franchir le fleuve et bloquent les manifestants côté Français. La tension monte. Une centaine de Black Blocks
(groupuscules issus des autonomes allemands) s’en prennent au bâtiment des anciennes douanes. Les policiers allemands postés sur le pont de l’Europe laissent faire. Selon certains témoins, des
individus auraient été vus, portant jeans, blousons noirs et sacs en toile mêlés à ces agitateurs, et rejoignant ensuite les véhicules des forces de l’ordre.
À 14 heures, des extrémistes défoncent les vitres d’un hôtel, qui semble destiné à la démolition, dans le quartier du
port du Rhin, et y pénètrent. Les habitants du quartier protestent en vain. Les policiers sont absents. Scène similaire à l’office du tourisme et dans une pharmacie. Une dizaine de minutes plus
tard, les CRS chargent. Tandis que des incendies se déclarent, ils repoussent les casseurs vers le Jardin des deux rives. Les deux camps entament une bataille rangée : gaz lacrymogènes
contre feux d’artifice et pierres.
À 14 h 30, le cortège s’élance. Venu du centre-ville, un convoi de police coupe la manifestation à hauteur d’un pont
ferroviaire. Il est pris à partie par des extrémistes, et les CRS postés devant un hôtel en flammes tirent des gaz lacrymogènes en plein dans le cortège.
Pressurer les manifestants
À coups de barrages sur les ponts et dans les rues, les forces de police empêchent le déroulement normal de la
manifestation. Exemple à 16 heures quand, rue du Port-du-Rhin, plusieurs milliers de manifestants sont pris au piège. Impossible de retourner au point de départ car l’accès est barré par un
cordon de CRS près d’un hôtel en proie aux flammes. Impossible aussi de faire demi-tour car un deuxième barrage interdit de rejoindre le restant du défilé. À 16 h 15, les policiers situés dans
le haut de la rue chargent une petite minorité d’extrémistes. La charge réduit de moitié l’espace laissé aux manifestants.
De la foule s’avance un homme qui parlemente avec l’officier responsable. Les CRS ouvrent un passage. Mains levées, les
manifestants passent devant les CRS. Pacifique dans son immense majorité, empêchée de défiler, acculée dans une souricière, la foule se sent humiliée et estime son droit à manifester bafoué.
Les policiers procèdent à des interpellations. Ils agrippent au passage certains jeunes. Plaqués au sol ou contre un mur, les interpellés sont fouillés, menottés avant d’être tous…
relâchés.
Le soir, pour entrer dans le centre-ville, les manifestants doivent présenter leurs papiers, et dénouer les drapeaux
« Peace » qu’ils portent autour du cou.
S’exprimer malgré toutes les humiliations
Malgré les humiliations, la volonté de bafouer l’expression démocratique des pacifistes, une partie des
« anti-OTAN » ont continué leurs débats le dimanche, assistant à des conférences riches, et réunis en atelier. Ils ont élaboré des propositions pour un monde sans l’OTAN. Pendant ce
temps, ceux qui vivaient dans le campement tentaient de regagner leurs pénates. Dès 13 heures, pourtant, les forces de l’ordre l’avaient encerclé, fouillant systématiquement ceux qui voulaient
sortir, empêchant l’accès au village. Le prétexte ? « La recherche de ceux qui ont cassé. »
Fabien Perrier et Alain Peter